Après les éclosions, et le temps de "récupération" qui souvent s'ensuit, la reprise d'activité se traduit par l'élaboration d'une trame soyeuse se densifiant au fil des heures. A terme, sous le poids des bestioles s'y agglutinant, il se forme une grouillante gouttelette qui se retrouve appendue entre ciel et terre ... mais aussi entre "voie royale" et supposé "plan B" !
Aussi surprenant que cela puisse paraître, les larvules vont émettre une "senteur" mimant les phéromones sexuelles émises par les abeilles femelles dont elles doivent parasiter les nichées. Attirés par les affriolantes et trompeuses effluves les mâles se rendent très vite compte de la supercherie, mais c'est toujours trop tard les bien nommés triongulins n'ayant pas leur pareil pour faire de "l'abeille-stop". Le moindre contact avec la gouttelette faisant office de leurre suffit en effet pour effectuer le transfert, et en plus les futées bestioles vont souvent se positionner sur des zones difficilement accessibles aux peignes de l'abeille. Le risque de se faire éjecter est également limité par le regroupement de plusieurs individus, et plus encore par le nombre assez incroyable des triongulins parfois ... "récoltés" !
A priori un plausible "plan B" est envigeable quand l'attractive senteur finit par se tarir, ou s'avère inopérante faute d'abeilles mâles dans les parages. Il peut également s'adresser aux laissés-pour-compte de la voie royale, censément privilégiée, et donc restrictive. Pour l'heure je ne saurais dire si les fils soyeux s'étirent, se "détricotent", ou finissent par se rompre, toujours est-il, gravité aidant, que les larvules se retrouvent fatalement à terre, avec dispersion au gré de la végétation environnante.
Les chances de rencontres avec les abeilles requises s'en trouvent évidemment très réduites, et de plus les triongulins de certains Meloidae sont connus pour "sauter sur tout ce qui bouge", fâcheuse propension ajoutant à la casse, la monture enfourchée étant rarement la bonne.
Pour finir, vous noterez que l'abeille du lierre (Colletes hederae) et les Stenoria sont prédestinés à "collaborer", si l'on peut dire, mais en l'absence de cette abeille d'autres espèces de Colletes peuvent a priori faire l'affaire.
Bien qu'elles soient très proches, vous noterez également que les zones de nidifications, très peu végétalisées, contrastent fortement avec celles dévolues au nourrissage où la végétation arborescente est au contraire très dense. Le taillis y domine, mais ça et là de vieux bouleaux couverts de lierre sont très attractifs, la défloraison des callunes ajoutant évidemment à leur attrait.
Dans le courant du 4e jour suivant les éclosions les gouttelettes se forment, mais restent attenantes à leur support (feuille ou branchette). Ressentie telle une alerte (voire une agression), une simple exposition au vent, ou un changement de position (passage "brutal" du grand soleil à l'ombre par exemple) provoque le retrait des occupants de la gouttelette, laquelle se reforme progressivement une fois l'inquiétude levée.
Procédant du même principe le grouillement des bestioles peut se faire intense ou au contraire pratiquement cesser, la majorité des larvules s'immobilisant côte à côte, têtes pointant en périphérie de la gouttelette, à la manière des écailles d'une pomme de pin. Cette très typique position peut être assimilée à une phase de repos, mais elle correspond avant tout à une position du genre "starting blocks", pour mieux "jaillir" à l'assaut de l'abeille abusée par l'émission des fausses phéromones (comme quoi la contrefaçon des parfums ne date pas d'hier, et qu'en la matière nous n'avons rien inventé ! ).
Par sa rapidité, et sa quasi perfection, le "rangement" de ces centaines de minuscules bestioles est assez bluffant, chacune faisant en sorte de promptement s'insérer à reculons entre ses voisines, la pointe de l'abdomen tenant lieu de coin. L'expression "jouer des coudes" s'en trouve parfaitement illustrée, tout comme l'amusante comparaison avec le jeu des chaises musicales, le tout à découvrir sur la vidéo finale ... et récapitulative !
La très attendue "pendaison" des premières gouttelettes en formation n'ayant pas eu lieu ( météo défavorable ? perturbation liée aux manipulations pour photos ? délai de latence normal ? ) les bestioles sont rentrées "se coucher" la nuit venue, l'amalgame des chorions et du tissage faisant plus ou moins office de "couverture".
Les observations se faisant au jour le jour j'ajouterais que ce retour au nid pour la nuit, concerne également les gouttelettes franchement suspendues, mais des larvules peuvent rester appendues, parfois en nombre non négligeable. Face à une météo pluvieuse, venteuse, ou trop fraîche, ce même retrait est également de règle et constitue une excellente parade.
Vous noterez l'identité des comportements d'une ponte à l'autre, mais aussi au sein de chacune d'entre-elles. Les notions de "colonie" et de "grégarisme" qui viennent à l'esprit n'étant pas fausses, ni totalement en adéquation, je préfère user d'un néologisme (me semble-t-il ! ) et parler de "synchronisme de fratrie".
Pour classiques et ponctuelles qu'elles soient, les réactions réflexes collectives sont à cet égard particulièrement symptomatiques et démonstratives. A titre d'exemple, et le fait est visible à plusieurs reprises en vidéo, on peut voir des centaines de larvules en position d'attente (telle que précédemment définie), littéralement "sursauter" au même instant, et cela au "pouième" de seconde près. J'ajouterais que ce genre de réaction est également connu des éleveurs de chenilles ... dont je suis !
S'avérant peu concluant, un essai de transfert expérimental sur abeille domestique, s'est soldé par la chute d'une petite partie de la gouttelette, sans générer la moindre tentative de dispersion. J'ai d'ailleurs fini par reformer la gouttelette très facilement, l'accrochage se réalisant de lui-même, instantanément. Tombée cette fois naturellement un second lot, nettement plus important, s'est pareillement comporté. Un semblant de dispersion a toutefois eu lieu le lendemain, mais apparemment sans conviction, la petitesse des bestioles (et de leurs pattes ! ) ne devant pas faciliter les choses.
Compte tenu de la cohésion de la fratrie, et des synchronismes précédemment observés et décrits, je pense pouvoir dire qu'il y a un temps pour tout, et que tout est question de stimuli, à commencer par la diffusion de l'attractant, et le cas échéant la dispersion des larvules. Concernant cette dernière éventualité, il n'est pas impossible que les bestioles se laissent tout simplement tomber les unes après les autres, la conjonction de leur petitesse et du moindre "souffle d'air" étant de nature à générer un effet "ballooning", comparable à celui favorisant la dispersion des jeunes chenilles et araignées.
Toujours juchés sur l'abeille femelle les triongulins vont la quitter lors de la ponte, en faisant en sorte d'être enfermés dans les cellules contenant les oeufs et le miel nourricier. A terme, l'éventuelle concurrence étant éliminée, chaque triongulin dispose d'une cellule au sein de laquelle il va effectuer son développement larvaire lequel passe par un stade surnuméraire propre aux Meloidae, d'où la notion d'hypermétamorphose.
Dans un premier temps, en prenant garde de ne pas s'enliser dans le miel et y périr , la larvule s'attaque à l'oeuf , premier repas depuis sa naissance. Il s'ensuivra un second stade larvaire, apte à flotter sur le miel, puis une sorte de ver blanc s'en gavant sans retenue. L'épuisement du stock est ponctué de 2 mues, logiquement assorties d'un gain de taille et de poids.
Toujours selon Claire Villemant (INSECTES n° 121-2001) une "pseudo-nymphe" (stade propre aux Meloidae) se forme fin avril, et restera en "dormance" jusqu'en fin juillet. Une prénymphe, toujours immobile lui succèdera, laquelle donnera peu après une nymphe classique ... et enfin l'insecte adulte, et donc apte à se reproduire. La boucle (et quelle boucle ! ) s'en trouve ainsi bouclée, tout comme cette "page entomo" ... du moins pour l'essentiel !