Avant-propos !
Les "Cigariers" sont de petits Coléoptères qui relèvent de l'immense Famille des Curculionidae ( 1325 espèces en France ! ), autrement dit des "Charançons", au sens très large du terme. Les "membres" de cette Famille sont principalement caractérisés par la présence d' un "rostre" plus ou moins allongé, lequel prolonge la tête et porte les pièces buccales à son extrémité. Le rostre en question peut parfois égaler la longueur du corps, comme chez les Balanins que j'ai la faiblesse de trouver charmants (ci-dessous).
Par une belle journée de Mai, je vous laisse imaginer une balade champêtre au fil d'un petit chemin arboré ponctué d'aulnes, noisetiers, et bouleaux. De mon côté j'imagine votre surprise quand vous y découvrez çà et là, appendus sous les feuilles, des sortes de mini "pétards" pouvant atteindre 6 cm de longueur, si ce n'est plus ! Issus de feuilles savamment découpées et enroulées, ces "cigares", puisque tel est leur nom, sont l'uvre de bestioles aussi douées que ces femmes cubaines (les "torcedoras" !) qui subliment l'art de rouler les cigares du genre "barreaux de chaises", chers à Jacques Dutronc !
Pour les initiés ils relèvent de la Famille des Attelabidae. Plusieurs dizaines d'espèces sont présentes en France, d'où la diversité des végétaux concernés, mais aussi des modes opératoires. Il s'ensuit des cigares courts, allongés, coniques, cylindriques, le point d'ancrage au niveau de la feuille pouvant lui-même varier (pétiole, nervure principale, limbe). Les cigares servant de nourriture aux larves, et donc de réceptacle aux oeufs, le nombre de ces derniers (1 à 6 en général) est sans doute fonction de l'espèce, mais aussi de leur taille en regard du volume consommable, logiquement déterminé par les dimensions de la feuille !
Les choses sont cependant moins simples qu'il n'y paraît, car les cigares en question doivent impérativement tomber, et cela pour 2 raisons. D'une part la nymphose de l'insecte se fait dans le sol, et d'autre part le cigare doit bénéficier d'une certaine humidité pour être consommable. En d'autres termes un cigare qui ne tombe pas devient rapidement immangeable pour une jeune larve, car trop dur, et surtout trop sec, comme le saucisson du même nom peut parfois le devenir.
Le cigarier, à la fois noir et minus ( 3,5 mm ! ) qui a initié cette page entomo est le Deporaus betulae (= femoralis Latr. = femoratus ol.), lequel vit donc sur le Bouleau, mais aussi sur l'Aulne, le Charme, ou encore le Noisetier, arbuste très apprécié par chez moi ... voire plébiscité ! Bien entendu il y a des espèces nettement plus grosses, et plus vivement colorées, telle Apoderus coryli, le curieux "poinçonneur des noisetiers" (voir site ! )
Certaines espèces sont nuisibles, entre autres pour la vigne, (via le très polychrome Byctiscus betulae) l'insecte adulte provoquant la chute des jeunes pousses en les attaquant à la base. Les adultes et larves des "cigariers" sont phytophages, comme le sont tous les Curculionidae.
Deporaus betulae ... morphe et dimorphisme !
Comme déjà dit, la bestiole est entièrement noire, très petite, et la traditionnelle allumette permet d'en juger. Le mâle se distingue aisément par l'ampleur de ses fémurs postérieurs lesquels valent largement les biceps du célèbre "Popeye". Reste que tout le mérite de l'ouvrage revient à la femelle, le minuscule insecte montrant pour ce faire d'une force très inattendue, et d'un savoir-faire qui pour être instinctif n'en surprend pas moins ... et cette "page entomo" en témoigne !
A titre d'exemple, la nervure centrale faisant présentement office de "clé de voute" doit être attaquée "pile poil" de façon à permettre à la fois la confection du cigare, et sa chute ultérieure une fois sec ( à l'occasion d'un coup de vent par exemple). Trop attaquée, et le futur cigare tombera en cours d'ouvrage. Pas assez attaquée, et le cigare restera appendu, ou tombera trop tardivement, d'où la condamnation de facto des larvules.
Chez les Cigariers tout se passe au niveau de la reproduction, à savoir dudit "cigare", et notre Deporaus betulae ne fait pas exception à la règle. On peut même dire qu'il compte parmi les espèces les plus "douées", comme les "cigares" ci-dessous en témoignent. D'aucuns vous diront qu'il s'agit plutôt de "pétards", cette forme ayant d'ailleurs sa raison d'être, tant au niveau biologique que technique.
C'était à la mi-Mai, en bordure d'une allée forestière, et la chance aidant je suis tombé sur un noisetier où les cigares étaient particulièrement nombreux, et les "manufacturiers" eux aussi bien présents. Ne pouvant m'attarder (en dépit d'observations déjà prometteuses!), j'ai pu récupérer un petit lot de bestioles, lesquelles se sont très vite retrouvées au jardin, sur un noisetier en quelque sorte "vierge".
Dès le lendemain plusieurs cigares "pendouillaient" déjà au bout des branchettes, et à maintes reprises j'ai pu voir la minuscule bestiole à l'oeuvre, qu'il s'agisse de la découpe de la feuille, ou du plus "énigmatique" enroulement du cigare.
a)- le choix de la feuille !
Elle est manifestement préférée horizontale, ou inclinée vers le sol en deçà de 45°. La taille importe peu, si ce n'est qu'elle influe évidemment sur la longueur du cigare, et non moins logiquement sûr la durée de la découpe, laquelle est de l'ordre d'1 h en moyenne.
b)- la découpe !
Elle se fait transversalement, généralement entre le milieu et le 1/3 supérieur de la feuille, et selon une sinuosité globalement constante propre à l'espèce. La nervure centrale n'est que "mâchouillée" ( si je puis dire ! ) sur une longueur de 5 à 10 mm, ce qui va créer un point faible, expliquant que la partie foliaire sectionnée puisse basculer d'un coup (sous l'effet de la gravité et de son propre poids), pour se retrouver appendue à la verticale, dès l'achèvement de la coupe transversale.
A noter que le basculement de la partie sectionnée est souvent aussi brutal que spectaculaire, si bien que la bestiole a tout intérêt à se cramponner pour ne pas chuter (imaginez que vous sciez la branche sur laquelle vous êtes assis !). En cas de vent la bestiole use d'une astuce peu banale. Les nervures secondaires de la 2e moitié de la feuille sont en effet incomplètement sectionnées et une fois arrivée au terme de découpe la fûtée bestiole revient sur ses pas et achève les nervures une à une ce qui réduit l'effet drapeau, généré par le vent, et donc le flottement de la partie sectionnée. Toujours pour résister au vent les tarses de la bestiole comportent de véritables crampons (les "pulvilli") griffus, lesquels joueront d'ailleurs un rôle primordial lors de la confection des fameux cigares
A noter encore que le "mâchouillage" de la nervure centrale va tarir le flux de sève, parachevant ainsi le processus de flétrissement du végétal, ce qui favorise évidemment l'enroulement du cigare, mais aussi son dessèchement ultérieur, et à terme sa chute. Le découpage se fait toujours sur le dessus de la feuille, le plus souvent de gauche à droite, la bestiole se placant toujours sur la partie qu'elle découpe. Vous noterez également qu' elle se positionne, toujours là encore, perpendiculairement à la coupe, d'où son déplacement latéral (en "crabe") au fur et à mesure de la découpe.