Encore une drôle de bestiole, si drôle que tout un labo de Biologie Animale (et j'en étais ! ), a eu la bête "sous le nez" des années durant ... et cela sans jamais la voir ! ... ni même soupçonner son existence ! Comme le poinçonneur cher à Gainsbourg, "elle fait des trous, des p'tits trous, toujours des p'tits trous" ! Souhaitons qu'elle en fasse encore longtemps, très longtemps !
Le "Ver-lion" ou "Vermileo" est un Diptère, autrement dit une "mouche" au sens large du terme. Vous noterez au passage que les Diptères en question ont toujours 2 ailes, et les Hyménoptères 4 (guêpes, abeilles, etc...). Cela précisé, notre bestiole relève des Vermileonidae, très petite Famille, puisqu'elle n'excède pas la quarantaine d'espèces au niveau mondial.
La bestiole peut se rencontrer au pied des arbres, ou encore à l'aplomb de rochers, de troncs d'arbres à terre ( etc...), mais la base des vieux murs est également appréciée, la dégradation des joints, des enduits, ou du matériau proprement dit, générant souvent une très favorable pulvérulence.
Le site !
Bordant le couloir des salles de Travaux Pratiques de la Fac, de grandes jardinières extérieures (ci-dessous à gauche) sont situées sous une avancée du bâtiment. Il s'ensuit, orientation aidant, qu'elles ne voient jamais une goutte d'eau, qu'elle soit de pluie ou d'arrosage, d'où un sol en grande partie dénudé, et réduit à l'état de poussière, du moins en surface.
A priori on pourrait croire toute vie impossible, l'ensoleillement ajoutant encore à l'extrême aridité du substrat, mais notre Vermileo trouve là chaussure à son pied. Encore faut-il y regarder de près, et même de très près, car il s'est installé sous le rebord des fenêtres, tout contre la maçonnerie, là où l'ombrage prévaut, la hauteur disponible n'excédant pas quelques cm.
La larve du Vermileo est carnassière, et la capture des proies, le plus souvent des fourmis, se fait grâce à une sorte d'entonnoir faisant office de piège. Quand une "fromi" (ou une autre proie compatible) tombe ou s'aventure dans l'entonnoir, elle est promptement "cravatée" par le ver (ci-dessous), puis une fois vidée de toute substance la dépouille est "jetée" par dessus bords.
A l'instar du Fourmilion, la larve du Vermileo peut "bombarder" ses proies pour accélérer ou provoquer leur chute, mais cela reste occasionnel, la mobilité et l'extensibilité de la "trompe" suffisent et prévalent bien souvent.
La taille des pièges est évidemment fonction de celle des larves, et donc du stade larvaire atteint ( il y en a 3, en principe ! ). Non moins logiquement elle dépend également de l'épaisseur du substrat. Dans le meilleur des cas la profondeur du piège peut approcher les 20 mm, pour un diamètre excédant 25 mm, mais la norme est respectivement de 15 et 20 mm.
Le creusement de l'entonnoir est nocturne, comme pour le fourmilion, mais le processus mis en oeuvre par la larve du ver-lion est nettement plus simple, voire rudimentaire, mais néanmoins très efficace. Tandis que la moitié postérieure du corps est solidement ancrée dans le "sol", la partie antérieure se meut à la manière d'une minuscule trompe d'éléphant, et le substrat est littéralement "balancé" de droite et de gauche.
Replié sur lui-même l'avant corps forme une sorte de crochet, voire d'anneau plus ou moins fermé, où la tête fait office de pelle. En une fraction de seconde la bête plonge dans le substrat et en se relevant brusquement (comme sous l'effet d'un ressort), une "pelletée" de déblais se trouve éjectée et dispersée à la périphérie du futur piège. De la même façon que vous procédez avec une une miette de pain, la bestiole utilise le principe de la "chiquenaude" ainsi définie par le Larousse : "Coup donné avec un doigt replié contre le pouce et que l'on détend brusquement".
Au fil de de ces"pelletées" l'entonnoir se creuse, prend forme, et à terme la larve y aménage un espace plus ou moins plan en-dessous duquel elle se positionne en embuscade. De nuit la partie antérieure est souvent apparente, et de jour elle est au contraire dissimulée sous une fine pellicule du substrat
En dépit de la variabilité des sites, et donc de la nature du substrat, la quasi pulvérulence des parois est de règle car cela conditionne l'efficience du piège. Tout ce qui ne correspond pas à l'attente de la larve est donc systématiquement éliminé, et en l'occurrence fort adroitement éjecté. Présentement j'avoue avoir un peu abusé de la "bonne volonté" de mes pensionnaires, mais la démo n'en est que plus significative.
Comme les illustrations ci-dessous le montrent, les "cailloux" ( traîtreusement proposés ! ) prenaient des allures de rochers tant ils outrepassaient le poids et le volume des larves, mais ces dernières ont brillamment relevé le défi :-) ! Comme toujours le "corps étranger" est littéralement "examiné", tactilement parlant, puis la larve l'oriente au mieux, se positionne de même ... et c'est la "chiquenaude" !
La larve
Sauf à tamiser le substrat, ou à bien connaître la bestiole, il n'est pas toujours aisé de trouver les larves. Outre leur relative petitesse (y compris à terme), elles sont en effet toujours enduites de particules sableuses ou poussiéreuses, et de surcroît elles ne bougent pas plus de la tête que du derrière. Cette immobilité, quasi cataleptique, est bien sûr une forme de défense ( savamment appelée "thanatose" ! ), car en temps normal, et donc au fin fond de son "antre", la bestiole est en fait extrêmement réactive.
La "chasse" au ver-lion, se pratique à la petite cuillère, ou la grande si la couche du substrat est plus conséquente. Les entonnoirs n'étant que rarement isolés l'alerte est donnée dès l'instant où votre cuillère plonge dans le "sol". Les entonnoirs environnants semblent alors désertés, "sauve-qui-peut" oblige, et les bestioles deviennent le plus souvent "introuvables", du moins là où l'épaisseur du substrat et sa fluidité le permettent. On ne peut le voir, mais par déduction la larve doit très facilement s'y déplacer, et plus encore en cas de danger ... ou d'entomologiste trop curieux !
La nymphose intervient fin Mai-début juin et elle se fait à l'aplomb de l'entonnoir, dans le substrat sous-jacent. La nymphe est dite "libre" car sans cocon, logette, ou autre structure de protection. Elle passe aisément inaperçu, car tout comme la larve, elle est en quelque sorte "enduite" de particules empruntées au substrat.
Bien qu'ils soient en concurrence (même biotope, même technique de chasse, mêmes proies), Fourmilion et Ver-lion peuvent cohabiter, et les fameuses jardinières universitaires en témoignent. En fait il serait plus exact de dire qu'ils voisinent, du moins dans le cas présent, car les fourmilions (d'ailleurs relativement peu nombreux) sont installés au grand jour (et soleil ! ), alors que le Ver-lion est en très grande majorité retiré sous les appuis de fenêtres, là où il trouve l'ombrage et le confinement qui semblent lui convenir.
.... "Pour vivre heureux, vivons cachés ! "