La beauté aranéenne de la bête, l'étonnante architecture de son cocon de ponte, et plus encore l'énigmatique modalité des naissances, ont eu raison de mon aversion pour tout ce qui porte 8 pattes. Il ne faut pas trop en demander, mais à l'évidence ma quasi phobie lâche peu à peu du lest, car cette page entomo fait suite à celle déjà consacrée à la " mygale à chaussette ", autre araignée fort peu banale ... et néanmoins " bien de chez nous " !
Est-il besoin de le rappeler, les araignées ne sont pas des insectes, au sens zoologique du terme, d'où le caractère très inhabituel de cette page entomo. J'ajouterais appliquer la "recette" de longue date mise en oeuvre pour les insectes, à savoir beaucoup de temps, de patience, et d'observations, d'où le vécu qui caractérise ce site. Il s'ensuit un maximum de photos et vidéos explicatives, mais présentement d'inévitables lacunes car encore une fois les aragnes sont bien loin d'être mon domaine de prédilection et encore moins ma "tasse de thé" !
Présentation !
Dédiée au naturaliste danois Martin Thrane Brünnich (1737-1827) l'Argiope bruennichi est à l'évidence plus connue sous ses appellations "grand public", les principales étant "Epeire fasciée" (de "fasciata" = bandes), et "Argiope frelon" eu égard au graphisme et à la coloration de son abdomen. Au passage vous noterez que le terme "argiope" fait référence au duvet argenté qui couvre l'avant-corps ( = céphalothorax ! ). L'espèce est largement répandue puisque par-delà l'Europe où elle remonte jusqu'en Scandinavie, elle est également connue d'Afrique du Nord, et d'une partie de l'Asie où elle atteint le Japon.
En raison de leur prédilection pour les sites bien dégagés, mais aussi du fait de leur très voyante parure et de l'importance de leur taille (près de 20 mm), les femelles sont aisément repérables. Elles le sont d'autant plus qu'elles se complaisent au centre de leurs toiles, leur livrée de type frelon détournant d'emblée les prédateurs. Les toiles sont circulaires (une trentaine de cm), et à ce titre qualifiées d' "orbiculaires", d'où le nom "d'orbitèles" donné aux araignées les tissant pareillement.
La toile de notre argiope se singularise par la présence d'une longue bande soyeuse verticale, fortement zigzagante et d'aspect nacré, savamment appelée "stabilimentum". La raison d'être de cette curieuse structure n'est pas clairement établie. Les uns y voient une sorte de "tendeur", d'autres une forme de signalétique anti-percution comme les silhouettes d'oiseaux apposées sur les baies vitrées, d'autres encore lui attribuent la propriété de réfléchir les UV, rayonnement bien connu pour attirer les insectes, et donc les proies.
Comme vous le verrez ( du moins je l'espère ! ) le dimorphisme est très marqué, au point de donner l'impression d'avoir à faire à 2 espèces différentes. Cela vaut notamment pour la taille du mâle, de l'ordre de 5 à 6 mm là où la femelle triple la donne, voire le quadruple. J'ajouterais que les amours finissent souvent très mal, mais le fait n'a rien d'exceptionnel chez les araignées.
Au pays des insectes, la ponte marque le plus souvent la fin d'une vie et le début d'une autre. C'est également vrai pour notre argiope, et de nombreuses autres espèces d'araignées, même si la durée de vie de certaines grandes mygales peut dit-on avoisiner les ... 20 ans !
Fut-il instinctif, le cocon de ponte de l'Argiope frelon relève du chef d'oeuvre, et s'avère à nul autre pareil. Elaboré en fin d'été, et toujours nuitamment, il est généralement situé à moins de 50 cm du sol. Soigneusement amarré à la végétation l'entourant, il ressemble à une sorte de petite montgolfière inversée de 15 à 25 mm de diamètre. Couleur "feuilles mortes", et plus ou moins surligné de bandes verticales noirâtres, il passe aisément inaperçu et semble peu prisé des prédateurs, tels les oiseaux insectivores. A décharge le déjeuner n'est pas très copieux ( ou goûteux ? ), et il est surtout très bien protégé, ce qui peut démotiver le prédateur.
Ne connaissant pas la date de cette ponte, je peux seulement dire que l'ouverture du cocon a été réalisée à la mi-octobre, la totale dépigmentation des bestioles laissant supposer leur très récente naissance. Leur petitesse fait qu'elles "crapahutent" aisément dans le dédale des fibres soyeuses composant la bourre, mais ces dernières se voient localement repoussées, l'espace ainsi libéré faisant office de nurserie.
Cette fois nous sommes à la toute fin de février, et les jeunes aragnes sont passées au 2e stade larvaire. Les nombreuses mues résiduelles en font foi, tout comme l'évident changement de taille. La motricité s'est également accrue, mais les bestioles rechignent à quitter la bourre pour s'aventurer en "terre inconnue". Bien que le cocon soit largement ouvert, et la bourre très grossièrement remise en place, tout le monde se fourre au chaud ( comme nous sous la couette ! ) ... et y reste !
Là encore le regroupement "collé-serré" est à l'évidence recherché, et donc de règle, d'où un espace dédié obtenu par refoulement de la bourre (fait observé à plusieurs reprises sur ce même cocon). A la veille du 1e avril, date d' écriture de ces lignes, les bestioles sont toujours calfeutrées, Dame Nature considérant sans doute qu'avant l'heure ... c'est pas l'heure !