L'ÉLEVAGE !
On distingue les carabes à reproduction printanière, tels les "Chrysocarabus" (s.l.), et ceux à reproduction automnale, tels les "Megodontus". Les premiers sont les plus fréquemment élevés car ce sont les plus beaux de notre faune. Leur développement est en outre très rapide alors que la larve des seconds hiverne, ce qui allonge considérablement la durée du cycle.
Pourquoi élever des carabes ?
Entre autres considérations (esthétiques par exemple!) l'élevage permet de reproduire des espèces ou des formes individuelles rares. Il permet encore de vérifier l'origine (somatique, génétique, tératologique) d'insectes naturels au statut incertain. Il permet également de "copier" des hybrides naturels connus, mais aussi de "créer" de nouveaux insectes, (en l'occurrence des hybrides expérimentaux) à partir d' espèces pouvant être sympatriques (c.a.d. cohabiter) ou allopatriques (ne cohabitant pas). L'intérêt de ce dernier concept expérimental est bien sûr de déterminer le degré de compatibilité génétique, autrement dit le degré de parenté entre des insectes appartenant à des espèces différentes (voire des Genres à l'occasion, mais là on relève de l'exceptionnel).
Comment élever des carabes?
Le sujet est vaste et les meilleurs conseils ne valent pas l'expérience. Il faut seulement savoir que l'élevage de base est à la portée de tout le monde, et que la qualité des soins importe plus que le matériel mis en oeuvre. Il faut encore savoir que la réussite d'un élevage est souvent la contrepartie de bien des échecs, notamment quand il s'agit d'hybridation.
Quelques pistes en matière d'élevages:
Pour des raisons pratiques, et physiologiques (il semblerait en effet qu'un minimum d'hivernage soit nécessaire à une bonne maturation des gonades) les géniteurs pris dans la nature le seront plutôt en fin d'hivernage (janvier-février par exemple), quand c'est possible. Dans le cas contraire ils seront mis au frigo (4 à 6 °) dans des boîtes contenant de la mousse humide (prévoir quelques trous d'aération si les boîtes en question sont hermétiques et très exiguës).
Les géniteurs obtenus d'élevage peuvent hiverner en extérieur (au nord, et hors soleil) sous réserve de mettre à leur disposition de la mousse et des morceaux de bois cariés où ils pourront se réfugier. Il faut cependant surveiller les bacs d'hivernage, et le cas échéant donner quelques morceaux de pomme, car en cas de redoux il n'est pas rare que quelques individus mettent le "nez à la fenêtre", parfois très prématurément.
En intérieur chauffé les couples peuvent être constitués très tôt (mi-février par exemple pour les Chrysotribax) ce qui permet d'étaler les élevages et le cas échéant de ne pas être "débordé". A pareille époque la nourriture peut poser problème et il est donc souhaitable de stocker des escargots en temps voulu. Quand c'est possible on peut par exemple congeler des petits "pisana" pour les larves (espèce souvent très commune dans les dunes maritimes), et faire hiverner de plus gros gastéropodes (tels les "aspersa" ou les "nemoralis") pour les géniteurs et les jeunes imagos. A défaut d'escargots on peut aisément trouver des vers de terre, sauf s'il gèle. Ils seront "tronçonnés" avant distribution, pour éviter leur enterrage. A l'extrême limite on peut donner de la viande hachée crue mais personnellement j'ai eu de bien meilleurs résultats avec du poisson congelé (merlu en l'occurence !) cuit au micro-ondes. Il faut se méfier car viande et poisson se corrompent très vite et peuvent donc souiller le terreau ou pire intoxiquer tout un élevage. Dans tous les cas il est d'ailleurs préférable de déposer la nourriture sur un petit morceau de carton ( qu'il faudra changer fréquemment), ou dans une petite coupelle (qu'il faudra évidemment nettoyer).
En règle générale il est suffisant de nourrir les géniteurs un jour sur deux, et il est bon d'alterner la nourriture, à savoir de la pomme (golden de préférence!) un jour, et de l'escargot ou du ver de terre la fois suivante. Il est plus que souhaitable de nettoyer le lendemain d'une distribution de nourriture, c'est-à-dire d'enlever tout ce qui n'a pas été consommé la veille. Cela limite beaucoup les risques de moisissures, d'odeurs peu agréables, de prolifération de moucherons (quand l'élevage est en intérieur, l'aspirateur ménager est le meilleur moyen de les éliminer, y compris au vol!) et bien sûr d'intoxication des carabes.
Il est préférable d'opérer en fin de journée, voire en soirée, et le cas échéant de donner la nourriture fraîche en même temps. Les gros escargots seront coupés en deux (avec de gros ciseaux), dans le sens de la longueur. Ils sont ainsi plus facilement "accessibles" et surtout plusieurs carabes peuvent consommer simultanément. On peut évidemment mettre à disposition une ou deux poignées de petits "pisana" vivants mais les larves naissantes de carabes peuvent s'y réfugier, et lors du nettoyage finir par mégarde à la poubelle.
Par ailleurs il arrive que les géniteurs (surtout âgés) ne parviennent plus a se toiletter correctement, c.a.d. à éliminer l'amalgame terreau / bave d'escargots qui tend à engluer les tarses et les mandibules. Il arrive également (substrat trop humide et argileux) que des boulettes terreuses, sorte de "gants de boxe", se forment à l'extrémités des tarses. Dans les 2 cas il faut intervenir, et nettoyer les insectes sous un filet d'eau et avec un petit pinceau souple de type aquarelle. Toujours au titre des "avatars" la présence d' acariens peut se manifester par des encroûtements rebelles à tout nettoyage. Dans la mesure où les insectes ainsi touchés sont le plus souvent âgés ou malades il est préférable de purement les éliminer pour éviter une propagation généralisée. Ce type de problème est souvent l'indice d'une humidité excessive et à cet égard mieux vaut un terreau un peu trop sec.
Les boîtes d'élevages n'ont pas besoin d'être très grandes ni très aérées si le nettoyage est fait régulièrement et la mousse changée quand elle est souillée. Des boîtes de 30 cm de long sur 15 de large et autant de haut sont amplement suffisantes pour accueillir 1 ou 2 couples. Quand un élevage est basé sur une seule femelle il est cependant souhaitable, quand c'est possible, d'adjoindre un second mâle. A la place du couvercle je préfère une plaque de verre qui permet une observation aisée, et surtout rapide, d'où un gain de temps toujours appréciable . Il faut toutefois utiliser un verre assez épais ( qualité "glace" ou "1/2 double") afin d'empêcher tout risque d'évasion (les boîtes plastiques se gauchissent facilement, et la plaque de verre ne reposant plus parfaitement un gros carabe peut fort bien insinuer ses mandibules et provoquer le glissement d'un verre trop mince). Un lit de terreau de 3 à 4 cm et une couche de mousse sur un tiers de la surface suffisent pour planter le décor. Le terreau doit être légèrement tassé, et pas davantage humide, comme pour les larves (voir ci-après). Il est bon de temps en temps de pulvériser un peu d'eau, surtout si on a prévu une aération des boîtes.
Les adultes s'activent dès la tombée de la nuit et il est nécessaire de "jeter un il" de temps en temps notamment pour voir si tout se passe bien et à l'occasion surprendre des accouplements ou des femelles à pondre (le derrière étant partiellement enfoncé dans le terreau la pondeuse se retrouve souvent positionnée à 45° !). Il est parfois préconisé d'extraire les oeufs, mais je ne suis pas partisan de cette méthode. Je conseille vivement de faire des "fiches d'élevages" et de noter ce type d'observations. C'est également souhaitable pour les pots (un petit papier scotché sur le couvercle permet de noter les dates importantes: stades larvaires (L1, L2, L3), pré-nymphose, émergence, et si la loge est visible: mue nymphale, et mue imaginale.
Les pontes interviennent généralement 2 à trois semaines après l'accouplement et il faut encore 10 à 15 jours pour l'apparition des larvules. Ces dernières émergent souvent le soir ou dans la nuit, mais c'est également très possible dans la journée.
Les larves se "récoltent" très facilement, le soir et le matin, en les attirant avec des morceaux d'escargot déposés le long des parois du bac d'élevage. Comme elles ont tendance à longer ces parois elles finissent toujours par trouver la nourriture déposée à leur intention, ce qui les "fixe" et évite par ailleurs tout problème de cannibalisme.
Chaque larve est ensuite placée dans un pot à confiture rempli au 3/4 de terreau (les pots de confiture genre "Bonne Maman" sont parfaits pour les grosses espèces du genre Chysotribax par exemple). Le choix du substrat, c.a.d. du terreau, est important que ce soit pour les géniteurs (bacs) ou les larves (pots). Le terreau en question peut être "récolté" dans la nature (bois et forêts) mais avant utilisation il est généralement nécessaire de le tamiser et de corriger le degré d'humidité. Personnellement j'utilise tout simplement le terreau dit "universel" du commerce. La marque importe peu mais il faut cependant proscrire les terreaux "enrichis" avec des adjuvants chimiques (engrais par exemple) et éviter les structures trop grossières ou fibreuses. A cet égard il est bon de "tâter" les sacs car pour une même marque la qualité, la consistance, et l'humidité, peuvent beaucoup varier d'un arrivage à l'autre (quand le lot est bon je conseille de stocker quelques sacs d'avance!).
Lors de la mise en pot l'humidité est un facteur primordial car il en faut ni trop, ni trop peu ! A défaut de savoir apprécier au "pif", c'est-à-dire par habitude, il suffit de prendre une grosse poignée de terreau et de la serrer fortement: quand le substrat reste bien compacté et que la main est néanmoins sèche c'est parfait. Pour finir je déconseille de réutiliser le terreau car il est toujours plus ou moins souillé et donc potentiellement porteur de nuisances (germes, parasites)
Le développement larvaire (3 stades) dure 21 jours (Chysotribax et Chrysocarabus) dans les conditions optimales de nourriture et de température (20-22°). Au premier stade la larvule naissante fait 1 seul repas et s'enterre pour faire sa mue et réapparaître au 2ème stade 4 à 7 jours plus tard. Le second stade est un peu plus long et couvre 3 à 4 repas. Au dernier stade il ne faut pas en promettre !
Les larves s'activent le soir et les soins doivent être quotidiens, comme pour les géniteurs, d'autant que les bocaux sont hermétiquement fermés et que le volume d'air est relativement réduit. Pour la nourriture il est préférable de donner des escargots vivants et "non baveurs", à savoir les petits "pisana" (souvent en abondants dans les dunes maritimes). Bien entendu la taille des escargots doit correspondre à celle des larves et c'est surtout important pour le 1er stade. Il faut mettre une bonne 1/2 douzaine d'escargots par bocal pour être sûr que la larve finisse par en attraper un. En cas de besoin, pénurie par exemple, on peut cependant n'en donner qu'un, en le mettant "sous le nez" de la larve, ce qui l'incite très souvent ....à se mettre à table!
A noter que certains carabes "exotiques" se reproduisent au coeur de l'hiver, ce qui peut poser de sérieux problèmes de nourriture sous nos latitudes. Cela vaut surtout pour les larves qui "boudent" (et c'est peu dire !) tout ce qui n'est pas escargots. Ces derniers étant en hivernage à pareille époque, et donc quasi introuvables (encore que les replis des vieilles bâches agricoles en plastique noir réservent souvent de bonnes surprises !), j'ai eu l'idée de proposer des gastéropes aquatiques, et ça marche parfaitement. Concrètement il s'agit de limnées et planorbes, mollusques qui affectionnent les eaux stagnantes et sont actifs toute l'année.
Lors des soins (si on ne voit pas la larve) il faut faire très attention de ne pas la jeter avec un escargot. C'est surtout valable pour les larves au stade 1 et pour les larves des petites espèces de carabes. Pour s'assurer que les escargots mangés sont bien vides de toute larve il est facile de les "mirer" en les passant rapidement devant une petite lampe halogène. Au terme du 3ème stade la larve s'enterre profondément pour aménager sa loge nymphale. Si le terreau a été correctement tassé, il se forme alors une sorte de "taupinière" en surface, laquelle correspond aux déblais.
J'ai 2 modèles de modules, les uns à 10 pots par "marche", et les autres à 15. En les posant dos à dos sur une table, je peux par exemple regrouper un lot de 150 pots. Chaque module est constitué de 2 supports latéraux, de 4 lattes, et d'une traverse qui rigidifie le tout. Ce système permet de très rapidement repérer les émergences (soirs et matins) en balayant les pots avec une simple lampe de poche.
Il
est toujours intéressant de voir ce qui se passe et de suivre
le développement de l'insecte. Pour les mues larvaires il
suffit de poser un petit morceau d'ardoise sur le terreau et
très souvent la larve fera sa logette dessous. Pour
l'observation des mues nymphales et imaginales, mais aussi de la
chromatogenèse, il suffit d'entourer le bocal d'un papier
cartonné amovible occupant toute la hauteur du terreau
(à mettre évidemment avant la fin du 3ème
stade). Dans plus de la moitié des cas, au moins chez les
grandes espèces de carabes, la loge nymphale sera alors bien
visible, car construite au fond du bocal, le long de la paroi. Les
pré-nymphes et les jeunes imagos étant lucifuges, et
donc particulièrement sensibles à la lumière,
les observations en loges devront se faire brièvement et
surtout en lumière
atténuée.
RAPPEL:
l' approche de la mue imaginale
s'annonce par la pigmentation progressive des yeux, suivie de celle
des appendices céphaliques et des pattes. Quand ces
dernières sont presque noires la "naissance" à lieu
dans les 24 h (surtout le soir et la nuit). Quand les
extrémités des tarses commencent à "trembloter"
c'est alors une question d'heures, voire de minutes.
A la mue imaginale les pattes se
déploient d'un coup puis l'insecte se retourne pour se
débarrasser de l'exuvie qui est alors progressivement
refoulée vers l'arrière. Dans le même temps les
élytres prennent peu à peu leur volume et leur forme.
Quand la mue imaginale est terminée l'insecte, tout blanc, s'
immobilise en position quasi foetale et la
chromatogènèse commence véritablement ainsi que
la sclérification progressive du tégument. L'essentiel
de la chromatogenèse demande de 24 à 36 h. et là
aussi les observations doivent se faire en lumière
atténuée l'insecte risquant de se cabosser en voulant
fuir la lumière. Il est préférable d'attendre la
sortie naturelle de l'imago ce qui demande en moyenne une semaine,
durant laquelle l'insecte est très souvent sur le dos. Pour
les impatients la "gratouillette" est possible 48 h après la
mue mais l'imago est encore très mou et les bosses
occasionnées risquent d'être définitives !
Durant quelques jours les jeunes imagos seront nourris dans leur
bocal, puis mis en boîte commune. Si on envisage de les
sacrifier il faut attendre une bonne semaine, laps de temps
nécessaire à un durcissement suffisant de la carapace.
En matière d'élevage, sauf à disposer d'un
système de climatisation, la température pose souvent
problème. En début de saison l'élevage
extérieur risquant d' être retardé ou ralenti par
la fraîcheur nocturne il est préférable
d'opérer en intérieur. A l'inverse trop de chaleur peut
nuire et entraîner une sorte d'estivation
prématurée et l'élevage est là aussi
compromis car les carabes s'enterrent et cessent toute
activité. Les fortes chaleurs sont particulièrement
néfastes aux larves et aux nymphes car le seuil létal
est de 29 à 30°, ce qui est vite atteint. Il faut alors
rentrer les bestioles tout en sachant que la température d'un
garage mal isolé ou exposé au sud (plus encore dans le
midi ), peut allègrement atteindre le seuil
fatidique.