La chrysope verte alias la "demoiselle aux yeux d'or" ! Avec un nom pareil on lui donnerait le Bon Dieu sans confession, mais les apparences sont là encore trompeuses, car la progéniture de la belle et frêle bestiole lui vaut aussi le surnom de "lion des pucerons" tout un programme que je vous invite à découvrir !
Présentation !
Comme les fourmilions et mantispes ( cf. pages entomo.), ou encore les ascalaphes, les chrysopes sont des Névroptères (= Neuroptères). Egalement qualifiés de "Planipennes" ces insectes sont principalement caractérisés par la présence de 4 ailes quasi semblables, bien développées, densément réticulées, et positionnées en toit au repos. A cela s'ajoutent des larves carnassières aux mandibules allongées et canaliculées.
Les Neuroptères sont représentés en France par 160 espèces, dont une cinquantaine pour la seule Famille des Chrysopidae, insectes souvent peu faciles à différencier en raison d'espèces dites jumelles, comme dans le Genre Chrysoperla. Dans le cadre restreint et vulgarisateur de ces pages entomo le terme généraliste de chrysope prévaudra, d'autant que toutes les espèces sont très comparables d'aspect, les différences biologiques convergeant in fine vers les mêmes points communs.
Avec les coccinelles et les syrphes, les chrysopes constituent l'élite des aphidiphages, autrement dit des "mangeurs de pucerons". La "lutte biologique" ayant le vent en poupe, les chrysopes et coccinelles sont d'ailleurs élevées et proposées en lieu et place des insecticides chimiques, lesquels nuisent à la biodiversité, mais aussi à notre environnement, sans parler de notre santé. Bien entendu ces insectes ne peuvent tout résoudre, mais ils constituent une aide efficace, d'où le terme d'auxiliaires les qualifiant, car ils visent à préserver la rentabilité en maintenant les nuisibles à un niveau acceptable.
A l'état adulte les espèces de chrysopes sont majoritairement consommatrices de pollen, nectar, et miellat, régime alimentaire savamment qualifié de "glycopalynophage". Les autres sont carnassières, comme le sont toutes les larves de chrysopes. Les pucerons constituent LA proie de prédilection des larves et des adultes, mais tout fait ventre dès l'instant où la taille est compatible, et les téguments suffisamment "tendres" pour pouvoir être perforés par les mandibules de la bestiole.
Les chrysopes sont plus ou moins fréquentes et répandues suivant les espèces et les régions. Peu sont strictement nordiques, et a contrario méditerranéennes, mais les milieux "bien exposés" sont toujours préférés Ces insectes affectionnent les friches herbacées ou buissonnantes, mais aussi les haies et lisières, ou encore les prairies naturelles. Comptant parmi les plus ubiquistes et communes, la "verte" peut tout à fait squatter naturellement votre jardin, et vous y donner un coup de main appréciable, sous réserve de bien la traiter... et donc de pas (trop) traiter !
Les adultes sont essentiellement nocturnes, avec préférence marquée pour la première partie de la nuit. Ces jolies bestioles peuvent parfois s'observer à butiner de jour, notamment sur les inflorescences d'ombellifères, très attractives pour de nombreux insectes. Les chrysopes sont visibles du printemps à l'automne et sont attirées par la lumière. Le nombre de générations annuelles, généralement de 1 à 3, est fonction des espèces, tout comme la durée de vie qui peut se voir réduite à la période de ponte, soit quelques semaines ... voire beaucoup moins ... et pour cause !
Pas super douée pour le vol, la frêle bestiole est en effet une proie facile, ses moyens défensifs se résumant à des glandes "répugnatoires", et donc dissuasives, d'où le surnom de "mouche puante" ... appellation nettement moins poétique que les yeux d'or de la demoiselle ! Vécu oblige, j'ai "sentu" ... mais rien perçu ! ... sorry ! L'espace aérien nocturne étant sillonné par les redoutables chauves-souris, les chrysopes sont dotées d'une parade aussi originale que sophistiquée. Elles sont en effet équipées pour détecter les ultrasons émis par les chauves-souris en chasse. En cas d'alerte le dispositif bloque automatiquement les ailes de la chrysope, ce qui provoque sur l'instant son "décrochage", avec de bonnes chances d'échapper au pire.
Quand les conditions de vie (météo et nourriture notamment) lui sont favorables la chrysope verte peut avoir 3 générations annuelles. La dernière hiverne à l'état adulte et pour l'occasion la bête se fait joliment brun clair à reflets cuivrés ou mordorés. Elle trouve refuge dans les cavités de vieux arbres, les haies, les amas de feuilles mortes, les tas de bois, les vieux nids, mais aussi au sein des feuillages persistants, tel le lierre, sachant que le simple enroulement d'une feuille morte peut lui suffire ! De même, il n'est pas rare d'en voir hiverner dans les "coins sombres" de nos maisons et dépendances, sans oublier les nichoirs du jardin, ou encore les très en vogue "hôtels à insectes" ... du plus simple au plus "luxueux" ! Diversité oblige, d'autres espèces passent l'hiver sous la forme larvaire, ou encore dans leurs cocons, mais tout le monde se retrouve à pied d'oeuvre le printemps venu !
Parade nuptiale ... et accouplement !
Préalable à toute approche ou contact physique, les chrysopes se livrent à de très explicites appels sexuels. Cela vaut surtout pour les mâles, les femelles étant en quelque sorte plus réservées. Considérés comme une forme de chant, ces appels se traduisent par des vibrations abdominales, et plus typiquement par des "tambourinades" produites par l'extrémité de l'abdomen frappant le support. Plus ou moins prolongés et rythmés, ces "chants" permettent de différencier les espèces, là où les critères morphologiques s'avèrent insuffisants. A cela s'ajoute la récente technique du "DNA-Barcoding" ( ou Code-barre ADN en bon français ! ), ultime et infaillible recours censément réservé aux spécialistes eux-mêmes ... spécialisés !
Chez les chrysopes le dimorphisme sexuel comportemental laisse peu de doute, là où les critères purement morphologiques sont a priori moins évidents ... encore que ! Par-delà les classiques segments génitaux (face ventrale de l'extrémité abdominale), effectivement difficiles à appréhender sur le vif tant la bestiole est petite et fragile, l'abdomen est au contraire très parlant, y compris à l'oeil nu. Chez le mâle il est en effet longuement cylindrique, et chez la femelle il est très sensiblement rendu elliptique par la présence et le volume des oeufs.
Au pays des chrysopes les parades sont toujours prolongées, et plus souvent amoureuses que nuptiales. Du genre macho les mâles donnent en effet l'impression de tenter leur chance dès l'instant où une femelle croise leur route. En pareil cas le duo espéré a toutes les chances de relever du monologue, et au final de tourner court, mais la femelle se laisse volontiers conter fleurette, souvent bien au-delà du 1/4 d'heure. A contrario le dialogue peut pareillement s'engager, et donner lieu à de véritables et très démonstratives parades nuptiales, non dénuées ... de "touches perso" !
Dans le meilleur des cas les bêtes se rapprochent, les antennes se cherchent, les têtes en viennent au "tête à tête", et les palpes ... se palpent ! Dans le même temps les abdomens vibrent à l'unisson ou à tour de rôle, et de gracieux "effets d'ailes" ponctuent ce qui s'apparente à une sorte de "conversation amoureuse", prélude à plus ... si affinités :-) ! Comme vous le verrez, ces séquences vidéo illustrent parfaitement le propos ! Vous noterez qu'il s'agit d'extraits, car au fil de courtes pauses une même parade peut se prolonger 1 h durant, et souvent plus encore !
La ponte !
Les peu banales "demoiselles" font encore preuve d'une belle originalité, la découverte de leurs très astucieuses et protectrices pontes "aériennes" plongeant le profane dans un abîme de perplexité ... et c'est peu dire !
Elliptiques et longs d'un millimètre, les oeufs sont en effet insérés à l'extrémité d'un filament flexible, et translucide, à peine discernable à l'il nu. Ce pédicelle, puisque tel est son nom, est d'un diamètre très largement inférieur à celui du plus fin des cheveux, et sa longueur, 7 à 12 mm, est fonction de l'espèce ... mais pas que !
En premier lieu une fine gouttelette d'un liquide hyalin et visqueux est émis au niveau de l'extrémité abdominale de la pondeuse, puis déposée sur le support (feuillage ou branchette par exemple). Pour ce faire l'abdomen est recourbé, et au besoin quelques tapotements assurent la formation et l'adhérence de l'embase. Dans la foulée la femelle relève son abdomen, ce qui a pour effet d'étirer un filament dont la longueur est logiquement déterminée ... par celle de l'abdomen ! L'oeuf est émis à la fin de l'étirage, et apparaît comme par magie. Durant quelques poignées de secondes l'abdomen reste relevé, et l'oeuf maintenu, afin que le filament porteur puisse durcir et pleinement assurer son rôle.
Notez-le : Autant les larves se prêtent volontiers au jeu, si l'on peut dire, autant les adultes ( y compris émergeant ! ) sont imprévisibles et s'ingénient à vous faire tourner bourrique. A cela s'ajoute la petitesse des bestioles, et une activité préférenciellement nocturne, le tout rendant les prises de vues souvent problématiques. Même si vous verrez tout ce qui mérite de l'être, il s'ensuit fatalement des illustrations (photos et vidéos) où la qualité n'est pas toujours à la hauteur de mes espérances ... sorry !
Bien entendu la ponte fait suite à l'accouplement, la moyenne des oeufs émis quotidiennement se situant généralement de 10 à 20 unités, et cela jusqu'à épuisement du stock ... et de la pondeuse ! Selon les espèces ( mais aussi les auteurs ! ), les pontes pourraient avoisiner le millier d'oeufs ... ou ne pas excéder 150 à 200 unités. A défaut de comptages perso vous me permettrez d'opter pour un chiffre médian compatible avec une période de ponte de l'ordre de 3 à 4 semaines.
La logique voudrait que les pontes aient lieu à proximité de colonies de "consommables" ( pucerons et cochenilles notamment ! ), mais chez les chrysopes les oeufs sont bien souvent déposés de façon aléatoire, l'éclectisme alimentaire et la grande mobilité des larvules leur permettant de s'accommoder de frugales collations, en l'attente de plus copieuses agapes
Les pontes en bouquets ! Elles étaient attendues ... les voilà !
Sans entrer dans le détail et le dédale des espèces (vulgarisation oblige !) je dirais que les pédicelles, assimilables à des tiges florales, peuvent être simplement réunis à leur base. Il s'ensuit des sortes de très gracieux bouquets ovigères, frémissant au moindre souffle. Ce genre de ponte, très spectaculaire, comporte le plus souvent de nombreux oeufs, souvent au-delà de la vingtaine. A l'inverse les pédicelles peuvent être unis sur toute leur longueur, d'où des oeufs eux-mêmes accolés et censément moins nombreux, au plus de 10 à 15. Vous noterez que l'accolement des pédicelles est astucieusement obtenu, le premier émis servant de guide à l'extrémité abdominale de la femelle pour étirer le second ... et les suivants !
Par-delà les prédateurs classiques (oiseaux et insectes), les oeufs de nombreux insectes (papillons et punaises notamment) intéressent les "guêpes" dites parasitoïdes. Ces minuscules bestioles (1 à 2 mm selon les espèces) relèvent des Chalcidiens, et comme les illustrations ci-dessous le montrent, les oeufs de chrysopes figurent aussi au menu. Présentement, et en l'attente de l'avis d'un spécialiste, il s'agit très certainement de Telenomus acrobates