De fait les pattes antérieures sont courtes, grêles, quasi atrophiées, et dirigées vers l'avant à la manière de palpes ou d'antennes. Par ailleurs elles donnent l'impression d'être insérées entre les pattes intermédiaires, mais en fait cette impression résulte de l'invagination de la partie antérieure du corps, au demeurant très étroite, tel un cou (cf. cliché ci-dessus). Au final elles apparaissent bien peu fonctionnelles, d'autant que sur substrat lisse la larve se stabilise fréquemment en inclinant la tête et en s'appuyant sur l'extrémité de ses mandibules grandes ouvertes.
Contrairement aux antérieures les pattes intermédiaires sont très longues, et portées telles des rames. Elles servent en quelque sorte de stabilisateurs latéraux car la forme globuleuse de la larve, et les à-coups liés au mode de déplacement, sont générateurs de déséquilibres.
Les pattes postérieures sont les plus robustes, et au repos elles s'appliquent en totalité sur la face ventrale. Leur position et leur forme fait qu'elles peuvent aisément se déployer ou au contraire se rétracter ce qui les rend aptes à générer le déplacement. Présentement ce dernier semble s'opérer par tractions successives et le fait que les pattes se rétractent simultanément et très brusquement ( tels des ressorts ) provoque une brève projection arrière et le fameux effet de saccade. D'une certaine manière on peut d'ailleurs dire que ce type de progression s'apparente à des sauts "à l'envers" compte tenu du sens de progression, mais aussi du fait qu'ils résultent d'une traction et non d'une poussée.
Sur substrat meuble l'extrémité abdominale est susceptible de se replier au même rythme que les pattes, et ce point d'ancrage supplémentaire facilite à la fois le déplacement et l'enfouissement. A noter que les mouvements induisant ledit déplacement sont à peine discernables tant ils sont rapides, ce qui ne facilite pas l'observation ni la bonne compréhension du processus.
L'entonnoir !
En règle générale les entonnoirs en question ont un diamètre de 4 à 6 cm, et ils sont fréquemment regroupés par places dans des zones bien exposées et souvent peu végétalisées. Du fait de leur pente, et de la friabilité de leur paroi, l'insecte qui s'y aventure ne peut remonter et finit fatalement par glisser au fond du piège, là où la redoutable larve est parfaitement dissimulée ( corps enfoui, tête et mandibules affleurant à peine la surface ).
Les fragiles entonnoirs étant évidemment soumis à de multiples aléas et dégradations ( intempéries, passage d'animaux, capture ou évasion de proies récalcitrantes, etc...) la bestiole est contrainte de fréquemment remettre son piège en état ...ce qu'elle fait toutes les nuits !
Le creusement !
Le plus souvent l'observation porte sur des entonnoirs en quelque sorte provisoires, car bien souvent creusés dans l'urgence d'un déterrage intempestif . Brutalement mise au jour la bestiole ne songe alors qu'à fuir, et donc à s'enfouir. Une fois à couvert, et si je puis dire rassurée, elle se contente d'éjecter le sable à coups de tête, et par gravitation il s'ensuit la formation d'un entonnoir qui pourrait se qualifier de " secours ", ou encore de " simplifié " eu égard à la méthode et au résultat.
En cas de comblement du piège ( accidentel ou provoqué là aussi ! ), vous noterez que la bestiole construit le même genre d'entonnoir, selon le même principe, et les mêmes modalités, Vous noterez également que les entonnoirs obtenus sont fonctionnels dans les 2 cas , mais qu' ils sont toujours très petits en regard de la norme, d'où une moindre capacité de capture, et de rétention des proies.
Le creusement des "vrais" entonnoirs est en fait nocturne, et la technique beaucoup plus élaborée et astucieuse !
Dans un premier temps la larve s'ensable très superficiellement si elle a été extraite, ou elle remonte sous la surface du sable si l'entonnoir a simplement été comblé. Quand elle le décide, et tout en restant à couvert, la bestiole commence par décrire des cercles de l'ordre de 2 à 3 cm de diamètre, le mouvement du sable témoignant très nettement du trajet suivi, et ce jusqu' à la fin du "chantier". La progression se fait bien sûr en "marche arrière", presque toujours dans le sens inverse des aiguilles d'une montre, et le sens de rotation choisi est conservé jusqu'à la fin.
Chemin faisant le sable est plus ou moins refoulé de part et d'autre de la bestiole, la forme en coin de l'abdomen favorisant à l'évidence la pénétration et l'évacuation latérale du substrat. Dans le même temps la larve "balance" très régulièrement, et non moins fréquemment, de véritables pelletées de sable d'un simple coup de tête. La gravitation et la fluidité du substrat aidant il se forme alors un sillon circulaire sensiblement en forme de "V". (schéma ci-dessous, profil 1 ).
A un stade encore plus avancé la larve tourne quasiment sur place, le sable circonscrit par le sillon initial est presque totalement évacué, et l'entonnoir se précise encore plus nettement ( profil 3 ). A terme ce dernier est parfaitement constitué, et en moyenne il aura fallu moins d' 1 heure de travail ininterrompu pour obtenir un cône parfait ( profil 4 ). Vous noterez que la largeur de l'entonnoir s'accroît avec sa profondeur, mais aussi avec le degré de fluidité du substrat, et que ce type d' entonnoir est toujours creusé de nuit.
A propos du substrat !
On peut dire que sa finesse et son homogénéité importent moins que sa fluidité car notre bestiole a plus d'un tour dans son sac. Là encore la démonstration est patente, même si on ne peut écarter l'incidence physique de la gravitation. Tout se passant plus ou moins à couvert il est en effet bien difficile de se faire une opinion objective, autrement dit de déterminer précisément les mérites respectifs de chacun, qu'il s'agisse de notre larve de fourmilion....ou du célèbre Newton.
Reste que les faits sont indéniables et que la curieuse bestiole semble pouvoir "tamiser" le substrat à son gré car les entonnoirs sont toujours constitués des particules les plus fines. En réalité, gravitation aidant, tout ce qui n'est conforme à la granulométrie souhaitée par la larve (menus cailloux, débris en tous genres) est tout simplement balancé "par-dessus bord" au fur et à mesure du cheminement de la larve, et donc du creusement de l'entonnoir.
Attention ... ne pas confondre !
La larve du Vermileo, couramment appelée "ver-lion" (voir page entomo, rubrique "autres") a des moeurs très comparables à celles de notre Fourmilion. Les entonnoirs sont cependant nettement plus petits ( de l'ordre de 2 cm maxi ), et moins évasés, avec un fond sensiblement arrondi. Ils sont construits dans les zones très abritées, ombragées, avec substrat sablonneux ou poussiéreux.
Là encore les fourmis sont pour l'essentiel au menu, avec "bombardement" des proies récalcitrantes, et rejet des dépouilles par-dessus bord.
Conclusion ....
Par-delà la notion de piège on peut dire que le Fourmilion a inventé le principe de l'entonnoir, et de la spirale, bien avant l'homme. Si besoin était, on peut également dire que cette nouvelle référence à la bionique (étude de processus biologiques en vue de leur transposition à des fins industrielles), démontre que les bêtes sont en quelque sorte loin de l'être.