Depuis 1996 je m' intéresse aux papillons de nuit fréquentant mon jardin, et à l'époque j'étais loin d'imaginer l'intérêt faunistique qui en résulterait. Bien que non définitif, et de surcroît partiel, le bilan présenté témoigne déjà de la réalité de cet intérêt, mais également d'une biodiversité caractérisée à la fois par son ampleur et sa discrétion.
Le jardin en question se situe à Treillières, petite commune semi-rurale implantée à une dizaine de kilomètres au nord de l'agglomération Nantaise. De type paysager il y occupe quelques 1200 m2 partiellement délimités par une vingtaine de vieux chênes et frênes têtards, classiquement associés à des haies vives, et pour partie à un talus. Il n'a donc rien d'exceptionnel, même si cet environnement est indéniablement plus favorable à l'entomofaune que les habituels alignements de thuyas ou de lauriers palmes.
Jusqu'en fin 1999 j'utilisais un dispositif attractif éminemment classique, à savoir une lampe à décharge de 125 W émettant une lumière blanche (intense et très crue), associée à une seconde de même puissance, mais à rayonnement ultra violet (lumière noire). Ces lampes étaient placées devant l'incontournable drap blanc, et le tout appendu le long d'un garage annexe. Le système était simple et très efficace, mais il impliquait de veiller à des heures souvent déraisonnables, d'autant que l'obscurité survient fort tardivement en été et que certains papillons ne se manifestent qu'à une heure avancée de la nuit. Il impliquait également de rester à proximité du drap en quasi permanence, les espèces peu réceptives ne faisant que passer ou ne se posant que très brièvement. Pour finir j'ajouterais qu'il fallait couvrir toute l'année car si bon nombre d'espèces s'activent à la belle saison, il en est qui attendent des périodes moins clémentes, voire même franchement hivernales (cf. diagramme; fig. 1).
Les obligations professionnelles et familiales s'ajoutant à ces impératifs pratiques, j'ai été amené à concevoir un piège se voulant non destructeur (cf. schéma de principe; fig. 2). Aisément programmable, très peu lumineux et coûteux (18 W/h), ce piège est conçu pour pouvoir fonctionner toute l'année (hormis par très forte tempête), et par ailleurs il n'est pas nécessaire de l'implanter au beau milieu de la pelouse. Afin que les relâchers s'effectuent dans de bonnes conditions le relevé du piège doit être quotidien et de préférence matinal. Bon nombre d'espèces sont en effet très sensibles à la déshydratation et le seuil létal est très vite atteint en période estivale, surtout si le piège n'est pas en situation ombragée. Au niveau des performances le drap et le piège se valent, mais le premier prévaut nettement à court terme alors que l'efficience du second s'apprécie dans la durée (voir nota)
Par ailleurs je tiens à préciser que les prélèvements restent toujours très modestes, puisque limités par principe à 3 spécimens par espèce. Entre autres considérations cette parcimonie permet de conserver une trace tangible de mes observations, sans pour autant grever le temps consacré à mes autres activités entomologiques. Les références ainsi collectées me paraissent avoir quelque importance, présente et future, d'autant que ces insectes sont généralement peu prisés des entomologistes. A cet égard il faut reconnaître qu'en dehors d'un poste fixe la recherche des hétérocères s'avère fort contraignante, d'autant qu'elle nécessite un matériel conséquent (à commencer par le pesant groupe électrogène) qu'il faut bien amener à pied d'oeuvre, y compris à dos le cas échéant. A cela s'ajoutent le très grand nombre des espèces (de l'ordre de 5.000 pour la faune française, dont 2/3 de Microlépidoptères), sans parler des difficultés de déterminations inhérentes à certaines espèces ou famille, et d'une documentation qu'il faut souvent chercher hors de nos frontières.
Ces contingences font que la répartition de nos Hétérocères est souvent assez mal connue, et le cas de la Loire-Atlantique est très symptomatique. De fait l'ouvrage du Docteur Samuel Bonjour (Faune Lépidoptérologique de la Loire-Inférieure ), et celui de H. Gelin et D. Lucas (Les Lépidoptères de l'Ouest de la France ) datent respectivement de 1897 et de 1911 à 1914. Ce dernier ouvrage (intégrant les données du précédent) me servant de référence, je préciserais qu'il concerne toute la façade océanique située en deçà d'une altitude fixée à 300 m. L'entité géographique et climatique ainsi définie par les auteurs fait que 13 départements sont concernés. Les uns le sont en totalité (Charente-Maritime, Deux-Sèvres, Gironde, Loire-Atlantique, Maine et Loire, Vendée, Vienne), et les autres en partie (Charente, Dordogne, Finistère, Lot-et-Garonne, Morbihan, Pyrénées- Atlantiques).
Pour l'ensemble de cette très vaste zone j'ai dénombré 793 espèces d'Hétérocères, en me limitant il est vrai aux seuls Macrolépidoptères que sont les Arctiidae, Cossidae, Drepanidae, Endromidae, Geometridae , Lasiocampidae, Limacodidae, Lymantriidae, Noctuidae , Saturnidae, Sphingidae .
Sur ces mêmes bases j'ai relevé 534 espèces formellement citées pour la seule Loire-Atlantique, et sans sortir de mon jardin 348 d'entre-elles sont déjà recensées à ce jour, soit un peu plus de 65 %. A ce chiffre il convient d'ajouter une bonne vingtaine d'espèces non explicitement citées du département, et une dernière non mentionnée pour l'ensemble de la zone. En l'occurrence il s'agit de Stegania (=Lomographa) cararia Hübner, dont les noms vernaculaires ("Phalène convoitée" ou encore "Phalène enviée") traduisent très explicitement la rareté attribuée à cette espèce, et donc l'intérêt qui lui est porté.
Au final, et pour les seules familles concernées (en excluant donc les nombreux Microlépidoptères collectés), 372 espèces ont été recensées "à domicile", ce qui représente près de la moitié des espèces de la façade atlantique telle que définie par Gelin et Lucas. Pour autant mon jardin n'a rien d'un Eden entomologique et l'explication est avant tout affaire de technique. En effet nos éminents précurseurs ne disposaient pas de notre arsenal entomologique, et notamment de nos très attractives installations UV. Reste qu'ils savaient à merveille traquer l'oeuf et la chenille, et qu'ils débusquaient ainsi bon nombre d'espèces que nous ne savons plus guère trouver car elles ne "viennent" pas, ou peu, aux lumières. La facilité a donc ses revers, tout comme la technique a ses limites, et cela permet de mesurer toute l'ampleur et l'intérêt du travail accompli par nos prédécesseurs.
Pour conclure j' insisterais sur le caractère incitatif que j' entends donner à cette page perso. Il me semble en effet opportun d'encourager ces inventaires, en quelque sorte "domiciliés", car ils permettent à l'évidence de mieux appréhender une faune dont la discrétion des murs ne favorise guère la connaissance. Pour finir il est permis de s'interroger sur le devenir de ces insectes, car il est à craindre que les résultats présentés témoignent plus souvent de l'efficience d'une technique, que d'une réelle abondance des espèces et des populations.
Nota: Depuis peu j'expérimente avec succès un compromis à savoir le piège en l'état mais avec une lampe blanche à décharge de 125 w en lieu et place du tube UV. La violence de l'éclairage, et la puissance électrique de la lampe, font que l'installation est nettement moins discrète, et de surcroît plus onéreuse. Cela étant l' excellence des résultats permet de notablement réduire la durée de l'éclairement et donc le coût de fonctionnement. final de ce nouvel agencement.
Ouvrages consultés: