La nymphose !
Au terme de son développement la larve cesse bien sûr de s'alimenter, et doit s'enterrer pour se nymphoser. A défaut d'ascenseur, si je puis dire, elle n'a d'autre choix que celui d'emprunter le laborieux dédale des branchettes pour parvenir au sol ou celui de se laisser tomber via un roulé-boulé salvateur, assimilable à la très efficace technique défensive utilisée (entre autres !) par bon nombre de chenilles.
La radicalité de la seconde option est certes tentante, d'autant que la chute est peu souvent directe, et de plus amortie à l'arrivée (herbe, mousse, humus). Cependant les quelques larves noyées dans le contenant de mes bouquets expérimentaux attestent que la première méthode a aussi ses adeptes, et pourrait même être de règle. De fait l'efficience de la "barrière anti noyades" mise en place a sans doute permis au plus grand nombre de mes "pensionnaires" d'arriver à destination sans encombre.
Une fois à terre la suite est pure formalité, la robustesse larvaire de la tête et des membres permettant d'affouiller le sol et y faire leur trou ! D'autres larves, disons plus chanceuses (ou fainéantes !) profitent d'un quelconque abri ( litière, pierre, débris de bois, etc..) pour s'y glisser ... et s'y "installer" !




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Préambule
:
Contrairement aux larves, quasi actives "h24", les adultes sont
nettement plus actifs la nuit, notamment au niveau des pontes, ce
qui ne facilite pas les observations, et encore moins les
illustrations photographiques et vidéographiques. A cela
s'ajoute la défiance de la bestiole toujours prompte
à s'envoler au moindre dérangement ... ou à
se laisser tomber ! Dans ce dernier cas il s'agit d'une
réaction défensive, à la fois classique et
très efficiente, en usage chez de nombreux insectes.
Certaines espèces, dont notre chrysomèle, peuvent
même parfaire leur défense en mimant la mort
(rétraction des pattes et totale immobilité, cf.
ci-contre !) phénomène connu sous le nom de
"thanathose".
Dimorphisme sexuel et accouplement : Dans l'absolu le dimorphisme est peu marqué, y compris au niveau des "plaques génitales" et donc des extrémités abdominales ventrales, mais la taille des femelles, sensiblement supérieure, reste un bon indice. Quand les oeufs sont formés, ce qui demande une dizaine de jours, les abdomens bien "dodus", voire distendus, ne laissent guère de doute, et le comportement des mâles est alors non moins ... éloquent ! L'accouplement, classique lui aussi, se fait par chevauchement, comme les illustrations ci-dessous le montrent.



Elle intervient évidemment après l'accouplement, ce dernier étant lui-même subordonné à la formation et la maturation des oeufs, ce qui demande une dizaine de jours entre l'émergence de l'insecte adulte et le début de la ponte. Tels les semis en "poquets" des jardiniers (haricots et petits pois entre autres ! ), les oeufs sont insérés par lots de 5 à 10 unités (selon le diamètre de la tige) dans un trou creusé de préférence dans la partie sub-terminale des pousses de viorne de l'année en cours. Censément plus "tendre" cette partie comporte schématiquement 3 zones concentriques bien visibles sur les coupes transversales ci-dessous. Peu épaisse, la plus externe de ces zones est par contre très fibreuse et coriace. La seconde zone, plus homogène, est au contraire épaisse, mais aussi charnue et "croquante", tout en étant nettement moins résistante. La dernière zone, en l'occurrence centrale est constituée d'une sorte de moelle alvéolaire par nature très tendre.

L'échelonnement des pontes, sous-entendant la perspective d'une longueur de vie relativement significative (en l'occurrence guère au-delà de la mi-août), il est bien difficile de déterminer le nombre des oeufs émis. Le chiffre de 500 unités est souvent avancé, et repris à l'envie, mais comme vous le verrez les pontes en rafales sont particulièrement trompeuses, sans parler des difficultés et du temps requis pour le creusement des trous de pontes. Pour avoir passé beaucoup de temps le nez sur ces bestioles (de plus de nuit ! ), je m'en tiendrais plutôt à une fourchette de 200 à 250 oeufs, approximation me semblant là encore excessive compte tenu de la durée de vie de ces insectes, mais aussi de l'important fractionnement des pontes, et donc de la multiplication du temps consacré à une mise en oeuvre que l'on sait laborieuse.
En effet chaque "poquet" (creusement, ponte, bouchon ! ) nécessite à minima 3/4 d'heure à 1 h 30 de "boulot" (et pas des moindres !) mais on peut couramment atteindre 2 h, voire 2 h 30. Le temps de creusement est de loin le plus laborieux et le plus variable dans la durée, puisque fortement tributaire de la dureté de la zone attaquée. La conformation du trou est également à prendre en compte, certaines femelles usant des mandibules pour triturer la matière végétale en vue d'obtenir une pâte malléable permettant de véritablement la modeler afin de reborder la périphérie du trou de ponte, comme ci-dessous.
Les efforts fournis sont bien sûr importants, et même si patents et intenses qu'il n'est pas rare qu'un oeuf, voire 2 ou 3, soient involontairement lâchés. En raison de leur petit nombre (en moyenne 6 à 7 unités), l'émission proprement dite des oeufs est logiquement très rapide, souvent moins d'une minute. La 3e et dernière étape, peu sujette à variations, est souvent bouclée en l'espace d'un 1/4 d'heure. Elle concerne bien sûr le bouchon, et vous verrez que son élaboration est ... aussi fastoche qu'inattendue !

Sitôt les oeufs pondus, la bestiole entreprend l'élaboration d'un bouchon protecteur dont la structure (photos ci-dessous) donne l'évidente impression de résulter de l'amalgane des "déblais" végétaux issus du creusement du trou de ponte. Logique me direz-vous... sauf que !
De fait il n'y a pas de "déblais",
tout étant ingéré au fur et mesure du
creusement, et c'est précisément là que les
choses se corsent .Aussi surprenant que cela paraisse, les
abdomens se
distendent
souvent à l'excès et quasi à vue d'oeil ! Au
fil des voies digestives les matériaux absorbés
prennent l'aspect, en un temps record, d'une sorte de bouillie
verdâtre, à la surprenante allure de "purée de
pois cassés", préfiguration non moins inattendue du
futur bouchon. Pouvant être parfaitement lisse, tout en
donnant l'impression d'être homogène, cette bouillie
le plus souvent légèrement grumeleuse n'a rien
à voir avec les excréments, lesquels se
présentent sous la forme de "points noirs", à
l'image de ceux tagués sur les parois de la box (cf.
ci-dessous).
Une fois le dernier oeuf du poquet pondu, cette peu banale bouillie est injectée dans le trou de ponte où elle fait office de colmatage. Au fur et à mesure de son émission les valves de l'extrémité abdominale se chargent ensuite de l'étaler en lieu et place de l'habituel bouchon. La suite est là encore peu ordinaire, car en l'espace de quelques heures ladite bouillie va se résorber, tout en s'asséchant, et contre toute attente se muer en un véritable et classique bouchon, tout en assurant la cohésion de ses composants. Elle y sert en effet de liant entre les fragments végétaux initialement ingérés (fibreux notamment !), lesquels réapparaissent "comme par enchantement", et cela en dépit du transit digestif subi. Certes, c'est "fait pour", mais comme moi vous devrez vous contenter de cette peu substantielle explication ! S'y ajoutent souvent des apports excrémentaires qui se traduisent par des zones plus ou moins noirâtres, selon la quantité de l'apport, mais aussi en fonction de son niveau de dilution ... ou de concentration !
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b
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Spongieux par nature, le bouchon ainsi formé assure une protection mécanique, mais aussi thermique, tout en régulant l'hygrométrie des oeufs qui devront affronter les intempéries et frimas hivernaux. Au fil du temps la dessiccation du "bouchon", et la réaction du végétal modifient sensiblement l'aspect extérieur du "poquet" tout en ajoutant à sa résistance et à ses qualités protectrices.
La plupart du temps, pour ne pas dire toujours, le mâle chevauche la femelle durant la ponte, et s'il lui arrive de la laisser se "débrouiller" seule, c'est toujours peu fréquent et de courte durée Les intempestives velleités d'accouplement ne sont pas rares, que ce soit durant le forage du trou de ponte, ou lors de son colmatage, voire au cours de la ponte proprement dite. La femelle est d'autre part régulièrement stimulée par des tapotements rythmés du bout des pattes ou des antennes, voire par une sorte de "vibrato" corporel du mâle. Les congénères, un peu trop curieux ou simplement de passage sont illico houspillés, les mandibules grandes ouvertes faisant clairement savoir qu'on ne souhaite pas être dérangé, et le cas échéant que la place est déjà prise.
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Sauf à être initié l'observation de pontes "en rafales" a de quoi intriguer et susciter bien des interrogations sur les modalités de leur réalisation, d'autant que tout ou presque se passe de nuit, et donc à notre insu. De prime abord le nombre de pontes, souvent plus d'une dizaine, et leur impressionnante régularité, donnent à penser qu'il pourrait s'agir de l'oeuvre d'une même femelle, mais à l'évidence, si tel était le cas, Hercule pourrait aller se rhabiller, ses fameux travaux relevant alors du rayon bricolage.
En fait il s'agit de pontes dites agrégatives (Desurmont et Weston, 2011) où les phéromones du même nom attirent des pondeuses, chacune y allant de sa contribution. Dans la nature rien n'étant jamais gratuit ces regroupements, plus ou moins importants, numériquement parlant, ont leur raison d'être, et pas des moindres. L'union faisant la force, il s'agit en effet de contrecarrer la réaction tissulaire défensive du végétal, laquelle peut conduire à l'écrasement des oeufs, voire à leur "expulsion", et donc leur destruction.







Par-delà son insignifiance et son évidente nuisibilité la bestiole a su capter mon intérêt au point d'accaparer mon temps, bien souvent jusqu'à pas d'heure, mais elle a aussi su me captiver et combler mon insatiable curiosité de naturaliste, sans laquelle ces "pages entomo" n'existeraient pas. S'il me fallait résumer, je dirais prenez le temps d'observer et écouter, là où trop souvent on se contente de simplement regarder et entendre. Croyez-moi cela change tout ... et pas seulement en entomologie !