C'est la première fois ( il y en a une en toute chose ! ) que je réalise une page entomo sans disposer des adultes, au demeurant jamais trouvés moi-même, ni même vus de mes yeux vus. Vous l'aurez compris, la bestiole est toujours localisée, souvent loin d'abonder, et surtout fort douée pour couler des jours heureux en vivant cachée ... dixit un célèbre adage ! A cela s'ajoutent les hélicides, grands destructeurs de limaçons et colimaçons, mais aussi les insecticides, sans parler des herbicides, fongicides, et autres "cides", qui n'arrangent rien !
C'est également la première fois que j'entreprends une "page entomo" sans savoir si je pourrais la mener à terme. Les écueils sont en effet nombreux, et le fait de "naviguer à vue" ajoute à la difficulté, mais aussi à l'intérêt, car la peu loquace bestiole est bien loin d'encombrer la littérature
Présentation ! (... pour l'heure succincte !)
Les driles sont de très atypiques coléoptères de la Famille des Lampyridae, actuellement rattachée aux Elateridae. Le drile jaunâtre (Drilus flavescens) et son méridional cousin concolore (Drilus concolor), sont les deux seules espèces de la faune française, et leur biologie est très comparable pour ne pas dire identique.
Par-delà un dimorphisme sexuel véritablement hors normes ( au point d'avoir leurré les entomologistes d'antan ! ), s'ajoute une très étonnante hypermétamorphose se traduisant le plus souvent par un peu banal stade larvaire surnuméraire, et parfois par une véritable "marche arrière" physiologique et morphologique, encore plus surprenante. Pour irrationnel que puisse paraître ce dernier cas, cette sorte de "retour vers le passé" a sûrement sa raison d'être, mais à l'évidence Dame Nature n'a pas fait dans la simplicité, et les entomologistes ... "sèchent grave" !
Les larves elles-mêmes ne sont pas en reste, puisqu'elles empruntent au bernard-l'hermite pour le gite, et au ver luisant pour le couvert. En d'autres termes elles s'installent dans la coquille de l'escargot qu'elles dévorent et y demeurent durant toute la durée du stade larvaire en cours. A terme elles muent, puis changent de logement et de restaurant !
Le choix d'un nouvel escargot est bien sûr déterminant, et en quelque sorte "réfléchi", la taille du logement et du garde-manger devant correspondre aux besoins de la larve. Le moment venu, cette dernière s'affaire autour de l'escargot pressenti, pour bien juger du contenant et contenu. Si l'état des lieux n'est pas satisfaisant, le gastéropode (trop petit ou trop gros par exemple) est alors abandonné. Dans le cas contraire la larve se l'approprie et entreprend de le mettre en lieu sûr !
Compte tenu des tailles et poids respectifs le déplacement de l'escargot n'est pas sinécure, d'où le savoir-faire de la bestiole, et l'importance de la ventouse abdominale faisant office de rotule d'attelage ... sauf que la bestiole pousse plus qu'elle ne tire !
Pour finir, vous noterez que le développement de tous les Meloidae est soumis à l'hypermétamorphose précitée. Concrètement ce stade surnuméraire se traduit le plus souvent par une phase de repos hivernal s'apparentant à une forme de diapause, mais son statut réel mériterait effectivement d'être clairement défini, notamment en regard d'espèces marocaines affines.
Chez Malacogaster passerinii ce même processus est en effet mis en oeuvre lors des périodes de sécheresse, lesquelles sont avant tout des périodes de disette, d'où une estivation classique quant au fond, mais nettement plus originale quant à la forme. Considérer que l' hypermétamorphose des Drilinii se résumerait à une simple réaction défensive vis à vis des agressions environnementales serait bien sûr prématuré, mais l'observation de cas "hexagonaux" comparables fait que le sujet mérite réflexion.
Bon à savoir ! Le stade larvaire surnuméraire des Drilus a longtemps fait l'objet de multiples appellations (*) au gré d'auteurs manifestement indécis, pour ne pas dire embarrassés. De nos jours 2 d'entre-elles prévalent, à savoir "prénymphe" et "larve secondaire". La 1ere de ces appellations est tout simplement basée sur la logique, la nymphe succédant effectivement à la prénymphe. La seconde, primant actuellement sur la 1ere, se réfère plus subtilement aux antennes, celles de la forme surnuméraire étant morphologiquement plus larvaires que nymphales. Perso j'ai néanmoins un faible pour "prénymphe", appellation à mon sens plus "parlante", là où les anglo-saxons (réputés ne rien faire comme tout le monde ! ), privilégient "larve secondaire" ... dont acte !
(*) - larve secondaire, pseudo-nymphe, larve d'hiver, prénymphe, larve de besoin, larve de repos, larve glabre, larve latente, larve blanche, larve intermédiaire, larve quiescente.
La ponte !
Elle intervient sitôt l'accouplement, et comporte plusieurs centaines d'oeufs. Ces derniers sont déposés en amas sous les pierres, la litière superficielle, les feuilles mortes, et en tout état de cause là où ils bénéficieront d'une certaine protection vis à vis de la prédation, et plus encore de la déshydratation, cette dernière devenant très vite fatale.
Présentement les oeufs ont été pondus à la mi-Mai, sous feuilles mortes de chêne. L'incubation s'est déroulée "en intérieur", et cela sur un mois "bien tassé", d'où la nécessité de parer au dessèchement, tout en évitant les non moins mortifères moisissures, souvent issues d'une aération insuffisante. A cet effet les oeufs ont été scindés en plusieurs lots, et déposés à la surface d'un récipient non fermé, sur substrat tourbeux fortement tassé et humidifié. Moyennant une surveillance assidue, et de très fines vaporisations biquotidiennes ... je suis devenu "papa" :-) !
L'évolution embryonnaire devient perceptible au bout d'une quinzaine de jours sous la forme d'une sorte de ligne "équatoriale" plus ou moins rougeâtre, puis les yeux de la larvule en devenir apparaissent nettement, suivis de peu par les mandibules. Dans la dernière décade, la segmentation de la larve devient de plus en plus apparente ... et c'est l'éclosion !
Le développement larvaire !
Même si les chiffres de 3 à 4 ans sont avancés avec tout le sérieux voulu, la durée de développement du drile me semble plutôt relever du "certain temps" cher à Fernand Raynaud, car la quête alimentaire de la bestiole n'est pas mince affaire. Au fil de sa croissance la larve est en effet tenue de trouver des escargots à sa taille et convenance, à la fois pour se sustenter et s'y loger. Déjà très restrictif, et alors que l'essentiel de la vie larvaire est estival, ce double impératif relève carrément de la mission impossible lorsque sécheresse ou (et) canicule sévissent, comme en cet été 2017. En élevage gîte et couvert étant servis à la demande, et de plus "sur mesure", le passage d'un escargot à un autre relève de la simple formalité, puisque ce "changement de domicile" est presque toujours effectif dans les 24 h, parfois moins. En toute logique la durée du développement devrait s'en trouver très nettement raccourcie. Dans l'affirmatif les modalités se verront précisées au fil des observations ... dans la mesure du possible !
Les larvules naissantes sont entièrement blanches, à l'exception des zones oculaires, nettement noires. Durant la phase de pigmentation, au demeurant assez rapide, elles tendent à rester "groupir". Maturation aidant, les jeunes bestioles se dispersent et peuvent faire preuve d'une belle vélocité, associée à une étonnante propension à vous fausser compagnie sitôt leur box ouverte. En d'autres termes, le temps que vous en rattrapiez une ... 2 autres en profitent pour "faire le mur" !
La manipulation de ces minuscules larvules est de plus assez malaisée, en raison même de leur évidente fragilité. Leur pilosité, peu dense mais longue et rigide, ajoute à la difficulté, d'autant qu'au moindre attouchement la bestiole s'enroule sur elle-même, position défensive bien connue des hérissons, et des chenilles dites " hérissonnes " ! En pareil cas les pinces entomologiques, fussent-elles "extra souples", ne sont pas la panacée, et le pinceau fin, souvent salvateur, a lui-même du mal à trouver prise.
Quelques jours plus tard, curiosité aidant, j'ai délicatement brisé la coquille d'un escargot "squatté". Non sans surprise je suis tombé sur une sorte de mini bibendum totalement différent de la larvule initiale, d'où la crainte d'une fermentation avancée ... et donc du pire ! Un 2e "bibendum", cette fois sorti de lui-même, ne m'a pas pleinement rassuré, d'autant qu'un malencontreux coup de vent l'a fait choir de l'allumette, et disparaître dans la végétation sous-jacente, me privant ainsi de son devenir.
Vous l'aurez compris, mon inquiétude n'avait pas raison d'être. La seule anomalie se résumant en effet à la sortie prématurée du second "bibendum", puisque la mue, et donc le passage au 2e stade, s'opère à l'intérieur même de l'escargot. A terme, vidée de toute substance la coquille est alors abandonnée, et la quête d'une nouvelle proie très vite entreprise.
Compte tenu des remarques précédentes, et donc de l'absence de suivi des larves naissantes, il m'est impossible de préciser la durée du 1e stade larvaire. Les dates de prises de vues des éclosions, et la chronologie précise des L2 au sortir de leurs escargots respectifs, permettent néanmoins de proposer une "fourchette" de 18 à 25 jours.
Ce 2e stade m'a donné l'occasion d' observer ( et filmer ! ) la "prise en main" de l'escargot, et le rôle primordial du pygopode, sorte de 7e patte située à la face ventrale du dernier segment abdominal. Cet organe est en effet doté d'une puissante ventouse permettant au prédateur de se stabiliser sur la coquille de l'escargot, fut-elle rendue glissante par la rosée, la pluie, ou la bave du gastéropode. Elle permet également au drile de déplacer son "garde-manger" pour mieux le soustraire aux indésirables ... et in fine s'y installer !
Comme cette vidéo le montre, l'ancrage de la ventouse permet a priori de "remorquer" l'escargot, mais son déplacement est le plus souvent obtenu par poussées successives. En pareil cas la larve progresse à reculons en s'arc-boutant sur ses pattes thoraciques. Si nécessaire elle s'aide de la tête, les mandibules pouvant être fermées, ou au contraire ouvertes et plantées dans le substrat. Quand la tête est positionnée sur champ, et donc avec une seule mandibule en prise avec le substrat, il s'ensuit une torsion du corps, laquelle, lors de la poussée, génère la rotation de l'escargot, et le cas échéant le changement de direction.
Vous noterez la disparité des taille, volume, et poids, entre le prédateur et sa proie, laquelle traduit la puissance de la larvule, d'autant qu'en captivité la bestiole peut s'affairer autour de son escargot durant plusieurs heures, et le déplacer à de multiples reprises, avant de "passer à l'acte", et donc d'y pénétrer. Au sein d'un même stade larvaire, présentement le 2e (ci-dessous à droite), vous remarquerez également les importantes différences de taille des proies, reflet de celles des larves, mais aussi d'un choix délibéré, chaque bestiole se voyant proposé 3 à 4 escargots de tailles sensiblement différentes. En tirer des conclusions serait bien sûr prématuré, mais il n'est pas impossible que cette différence soit déjà liée au sexe, les mâles étant toujours beaucoup plus petits.
1)- Sans être totalement inédit, l'élevage de ce genre de bestiole semble relever d'une sorte de compilation de données plus ou moins fragmentaires, d'où une "foultitude" d' incertitudes et interrogations. A titre d'exemple, et pas des moindres, qu'en est-il du nombre de stades larvaires "normaux", avant la "prénymphe" hivernale ? ... et idem après ? Ces nombres sont-ils fixes ou susceptible de varier, selon le sexe par exemple, comme cela arrive chez le ver luisant, mais aussi chez certaines espèces de chenilles. Dans les 2 cas le développement larvaire des futurs femelles comporte en effet 6 stades, et seulement 5 pour les mâles en devenir.
2)- A compter de ce 2e stade, et dans le cadre d'un projet de publication scientifique, les larves ont été isolées, sous suivi quotidien, avec tableau récapitulatif et comparatif des diverses étapes de leur évolution. Pour des questions pratiques, mais aussi pour parer à toute velléité d'évasion, ainsi qu' à un desséchement à coup sûr préjudiciable, j'ai opté pour de mini pots confituriers à fermeture dite 1/4 de tour, aussi rapide qu'étanche.